1 octobre 2016
Qui se souvient aujourd'hui des chronographes Hamilton des années 70 ? Eclipsé par Breitling et Heuer, Hamilton a pourtant joué un rôle crucial dans le lancement du célèbre mouvement Chronomatic. Le modèle phare de la marque américaine s'appelait alors Fontainebleau. Un beau château qui mérite bien une nouvelle visite.
Les chronographes Hamilton de collection payent sans doute aujourd'hui le prix d'une communication moins percutante à l'époque de leur lancement. Alors que Jack Heuer a su avantageusement associer sa marque et ses modèles au monde la course automobile, et Willy Breitling les siens à celui de l'aéronautique, Hamilton n'a pas su, ou voulu, associer les siens à un univers particulier.
Les chronographes Hamilton, et le Fontainebleau en particulier, n'ont donc aujourd'hui que leur design et leurs qualités techniques à faire valoir. Et celles du Fontainebleau ne sont pas des moindres.
Il y a tout d'abord son calibre. Equipé à son lancement du calibre Chronomatic 11, le Fontainebleau fait ainsi partie des tout premiers modèles présentés lors du lancement du Chronomatic en mars 1969.
Brevet de la boîte du modèle Fontainebleau, déposé par Hamilton le 9 mars 1966
Ensuite sa boite dite « carrée-cambrée », étanche, qui la lie en effet à la Monaco de Heuer, montre mythique dont le boitier de forme carrée provient de la société Piquerez S.A à Bassecourt, et en fait le deuxième chronographe étanche à boite de forme. La boîte si particulière du Fontainebleau était une création originale d'Hamilton, brevetée en 1968 par Ulrich Nydegger.
Chronographe Hamilton Fontainebleau, circa 1970. Calibre Chronomatic 11
Son cadran ensuite a tout pour plaire, il est du type « panda » (cadran gris ou blanc et compteurs noirs) et présente la particularité d'avoir conservé la sobriété des cadrans du début des années 60. A l'inverse de beaucoup de chronographes équipés du calibre Chronomatic qui préfigurent le design 70ies, il n'a en effet rien de tapageur ou d'exubérant. Trois couleurs suffisent au cadran et aux aiguilles : noir (en fait bleu profond pour les aiguilles), gris et blanc. Cette sobriété contraste avec la forme avant-gardiste de la boite et permet à cette dernière de s'exprimer pleinement. Une forme qui permet d'ailleurs à la montre d'avoir, en plus d'un cadran rond habituel, un rehaut asymétrique avec de grands index appliqués du plus bel effet.
Publicité pour le chronographe Hamilton Fontainebleau de 1969. Les aiguilles présentées sur ce modèle ne sont pas celles du modèle définitif.
Un mystère demeure toutefois concernant les aiguilles du chronographe Fontainebleau. Lors de la présentation à la presse en mars 1969, le prototype présenté disposait de fines aiguilles ornées d'un rectangle luminescent (aussi dénomées « paddle hands »). Pourtant tous les modèles que l'on retrouve aujourd'hui ont des aiguilles assez larges, finement striées, d'un beau bleu-noir. Des modèles aux aiguilles fines ont-ils existé ? Ou s'agissait-il d'aiguilles prototype qui finalement n'ont pas été sélectionnées, comme pour le premier El Primero présenté en janvier 1969 ?
Les aiguilles définitives du modèle Fontainebleau ont un aspect strié typique.
Les dimensions généreuses et la qualité d'exécution prédestinent le Fontainebleau à être porté tous les jours. Les exemplaires en bon état ne sont pas rares et les prix sont restés très raisonnables. L'entretien est assez facile et les pièces du calibre Chronomatic assez fréquentes. Le seul point problématique est le remplacement du verre hésalite, dont la forme unique ne permet que l'usage d'un verre d'origine. Une brève recherche sur eBay permet toutefois de constater que nombre de boitiers de Fontainebleau sont à vendre. Ceci ravira l'amateur en recherche de pièces détachées mais démontre malheureusement aussi la « destruction » dont le Fontainebleau fait souvent les frais en raison de son calibre Chronomatic. Le Fontainebleau est en effet devenu au fils des ans un « donneur de mouvement » assez recherché en raison de son prix attractif. Cette belle montre mérite pourtant mieux que d'être disséquée par des faussaires en manque d'argent facile.
Chronographe Fontainebleau commercialisé par Jaquet+Girard, circa 1972. Courtesy Marcel Reiter.
Il est à noter que le modèle Fontainebleau a également été commercialisé sous d'autres marques, notamment Jaquet-Girard et Lanco. Il n'est pas clair pourquoi d'autres marques ont pu vendre ce modèle sous leur nom. Probablement que la débâcle d'Hamilton et le temps de commercialisation effectif très court de ce modèle ont laissé derrière eux un vaste stock de composants invendus qu'il a bien fallu écouler. Tout preneur tiers était dès lors le bienvenu. Ceci expliquerait aussi pourquoi tant de Hamilton Fontainebleau en état NOS sont encore aujourd'hui disponibles sur le marché. Il est fort à parier qu'ils n'ont été assemblés et vendus que bien après la fin de la commercialisation officielle de ce modèle.
Enfin, pour ceux que le design du Fontainebleau attire mais qui ne désirent pas forcément porter un chronographe à la taille imposante, sachez que, à l'inverse de la Monaco de Heuer, le modèle Fontainebleau a également été décliné en diverses versions trois aiguilles simples, tant pour homme que pour femme.
Hamilton et l'Europe : la chute d'un géant américain
Créée à Lancaster en 1892, en pleine gloire des railroad watches, et propriétaire de la maison Illinois Watch Co. depuis 1927, l'Hamilton Watch Co. fut un fleuron de l'horlogerie américaine. La qualité et la précision des montres Hamilton étaient largement reconnues aux Etats-Unis, y compris et surtout par l'armée américaine qui lui fit des commandes considérables au cours de la 2e Guerre mondiale : pendant cette période, Hamilton a fabriqué jusqu'à 500 chronomètres de marine par jour !
Après 10 ans de recherche, Hamilton a lancé en 1957 la première montre-bracelet électrique. Présentée comme la montre du futur, son lancement s'est accompagné d'un vaste programme d'expansion pour Hamilton qui se décide alors à sortir des frontières américaines pour conquérir le monde. Le premier objectif c'est l'Europe, et quoi de plus marquant pour un fabricant horloger étranger que de s'installer en Suisse ? Ce sera chose faite en 1959 par le rachat de la vénérable fabrique d'horlogerie A. Huguenin Fils SA à Bienne. Cette maison, qui avait fêté son centenaire en 1957, disposait d'un outil industriel d'excellente qualité et d'un réseau commercial en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. En 1962, Hamilton ouvre des succursales en Angleterre, en Belgique et au Japon, et lance des modèles alliant la technologie suisse et le design américain : l'Elipsa en 1962, les Pan-Europ et Estoril en 1963, deux noms qui signaient les ambitions européennes de la marque. Enfin en 1966 elle reprend la célèbre Büren Watch Co. à Bienne.
A la différence d'Huguenin, Büren est une manufacture, fabriquant ses propres mouvements, et c'est un spécialiste de la montre automatique. C'est en particulier Hans Kocher chez Büren qui avait inventé la montre automatique à micro-rotor logé dans le mouvement, lancée en 1957, ce qui avait permis la réalisation de montres automatiques ultra-plates. Des licences du brevet avaient d'ailleurs été accordées à des marques prestigieuses comme Universal ou Piaget. Et au moment du rachat, Büren travaillait avec Dubois Dépraz sur un projet gardé bien secret : le calibre Chronomatic.
Calibre Chronomatic 11. La partie inférieure comprenant le mouvement automatique, était fabriquée par Büren/Hamilton. La partie supérieure, le chronographe modulaire, était fabriquée par Dubois, Dépraz. L'ensemble était assemblé par Dubois, Dépraz au Lieu dans la Vallée de Joux.
Et c'est ainsi qu'Hamilton va participer au lancement du premier chronographe automatique à micro-rotor. On l'oublie parfois, mais en mars 1969, aux côtés de Willy Breitling et Jack Heuer il y avait en effet Robert Kocher, Vice Président d'Hamilton International. Trois modèles de Chronomatic sont proposés par Hamilton lors du lancement : deux avec boîtier rond classique (un avec cadran bleu et un avec cadran panda) et un chronographe au boîtier unique : le Fontainebleau, du nom d'une collection de montres automatiques qu'Hamilton avait lancé en 1968.
La créativité d'Hamilton s'accéléra alors brutalement pour frôler la frénésie : une nouvelle ligne de montres avant-gardistes en 1970, Odyssée 2001, des montres à quartz à affichage digital la même année, les Pulsar, en collaboration avec Electro-Data Co. de Dallas, au prix astronomique pour l'époque de 1500 $, et une superbe version GMT du Chronomatic en 1971, le fameux Count-Down.
Chronographe Hamilton Count-Down avec fonction GMT, circa 1971. Calibre Chronomatic 14
Mais financièrement la situation devient brutalement catastrophique : de 42,5 M$ en 1969, le chiffre d'affaires passe à seulement 26,7 M$ l'année suivante. L'armée américaine réduit ses commandes, la récession économique n'arrange pas les choses et les investissements s'avèrent beaucoup trop lourds. Il faut vite trouver des fonds.
C'est la Société Suisse pour l'Industrie Horlogère (SSIH, qui comprend entre-autres les marques Omega, Tissot et Lémania) qui va les apporter, en prenant le contrôle d'Hamilton via sa filiale Aetos aux Etats-Unis, en novembre 1971. Ce sera la fin du mouvement Chronomatic, dont les composants provenant de Büren cessent d'être produits, et le début de l'histoire désormais 100% suisse d'Hamilton.
Note : Huguenin produisait les montres Hamilton en Suisse et commercialisait également des montres, identiques à celles d'Hamilton, sous son nom. C'est ainsi qu'on peut trouver des Huguenin Estoril identiques aux Hamilton Estoril.
Rachetée en 1959 par Hamilton, la société Huguenin de Bienne fabriquait des montres Hamilton et en commercialisait certaines sous son nom.
Sources : Revue Internationale de l'Horlogerie : 1957 ; Journal Suisse d'Horlogerie : 1962 à 1975 ; Michael C. Harrold, American Watchmaking, a supplement to the Bulletin of the NAWCC, 1984 ; Alfred Golay et Gérald Dubois, Dubois-Dépraz, 90 années d’horlogerie compliquée, Editions Dubois-Dépraz, 1991
Cet article est de Sébastien Chaulmontet et Joël Pynson, auteurs du livre Chronographs for Collectors
La version anglaise de cet article a d’abord été publiée par Monochrome Watches que nous tenons à remercier