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La véritable histoire d’Ernest Borel & Cie

La véritable histoire d’Ernest Borel & Cie

Ernest Borel

Fleuron de l’horlogerie Neuchâteloise, la maison Ernest Borel a su tout au long de son existence associer l’originalité de ses designs à la précision chronométrique. C’est de plus l’une des fabriques d’horlogerie les plus anciennes de Suisse et son histoire est jalonnée de modèles remarquables, toujours recherchés aujourd’hui.

Description

Joel Pynson

Octobre 2024

Mise à jour : Novembre 2024

1. De Borel & Courvoisier à Ernest Borel & Co.

Jules Borel

Jules Borel et Paul Courvoisier ont créé leur entreprise à Neuchâtel en 1859. On pourrait d’ailleurs faire remonter cette activité à une date antérieure puisque les deux associés ont repris le comptoir d’Henri Reynier fils, déjà actif dans la ville [1]. La fabrique Borel & Courvoisier est un comptoir, c’est-à-dire que les pièces nécessaires à la fabrication des montres proviennent de différentes parties de Suisse, et même de France, et qu’elles sont « terminées » au comptoir. Grâce aux clients hérités de Reynier fils, la société exporte d’emblée dans de nombreux pays, en particulier aux Etats-Unis et en Chine.

Borel & Courvoisier étaient extrêmement sensibilisés à la précision de leurs montres : dès 1866, un chronomètre de l’entreprise obtint un premier prix au concours de l’Observatoire de Neuchâtel.

En 1894, Paul Courvoisier se retire de la société et Ernest Borel, fils du fondateur, rejoint son père [2].

Ernest Borel

En 1898, Jules Borel décède. La société va alors être modifiée : elle devient Ernest Borel et Cie, successeurs de Borel-Courvoisier [3]. Les associés sont Ernest Borel, Sophie Borel-Courvoisier, veuve de Jules, Adamir Debrot, technicien remarquable qui restera plus de 50 ans dans la société, et la société Siber Brennwald & Cie de Zurich, distributeur des montres Borel en Asie.

On sait peu de choses des montres d’Ernest Borel & Cie du début du 20e siècle. N’étant pas une manufacture la société produisait des montres avec des mouvements divers qu’il est aujourd’hui difficile d’authentifier.

Jean-Louis Borel

Les choses vont changer à partir de la fin des années 1920. En 1926, Siber Brennwald & Cie, devenue entre-temps Siber, Hegner et Cie, quitte le conseil d’administration, et Jean-Louis, fils d’Ernest Borel, intègre la société [4]. Progressivement, sous les marques Elbro et Hermes, l’entreprise va se libérer de sa forte dépendance au marché asiatique en modernisant sa fabrication et en lançant de nombreux modèles de montres de poche et de montres-bracelets, et même à partir de 1936, de compteurs de sport [5].

À partir de 1940, les montres peuvent être signées Borel, puis E. Borel. Co, marque déposée en 1945. Les gammes sont très complètes avec des montres étanches, automatiques, des montres calendrier, des chronographes et des montres bijoux.

1943

1945

En 1943, Ernest Borel va faire appel au célèbre illustrateur René Bleuer pour une série de publicités devenues des classiques. René Bleuer a collaboré avec de nombreuses entreprises horlogères dans les années 1940 et 1950 [6]. C’est peut-être Bleuer qui a eu l’idée de la représentation graphique d’un couple où la femme admire la montre de son compagnon [7]. Déclinée en de multiples versions, celle représentant un couple habillé comme au 19e siècle est finalement devenue une marque déposée en 1946.

2. Les chronomètres Ernest Borel

1945

La chronométrie reste un atout pour l’entreprise. Un document de 1946 précise que les marques suivantes sont utilisées sur les cadrans [8] :

- qualité standard : Ernest Borel Neuchâtel

- qualité super : Ernest Borel

- qualité de précision avec bulletin de marche officiel : Ernest Borel Chronomètre

Cette année-là, la maison Ernest Borel a en effet reçu 1064 bulletins de marche, faisant de l’entreprise la deuxième de Suisse, après Rolex, pour la production en série de chronomètres.

En 1947, Ernest Borel inaugure une nouvelle usine à Neuchâtel, sur la route de Bienne [9]. Moderne, claire, lumineuse, équipée des derniers équipements pour la fabrication et le contrôle des montres, elle porte sur sa façade l’inscription Chronomètres Ernest Borel.

Ces succès dans les bureaux de Contrôle Officiels étaient aussi liés à des améliorations techniques dont Ernest Borel était le pionnier. Il s’agit en particulier d’améliorations du système de réglage, avec l’utilisation d’un nouveau balancier [10], et surtout du système de réglage Incastar, sans raquette, fonctionnant par simple allongement ou raccourcissement du spiral et sans influence sur le réglage aux positions. Il s’agit d’une création du célèbre Fritz Marti, inventeur de l’Incabloc [11].

1948

Ernest Borel a obtenu plusieurs milliers de bulletins de chronomètres dans les années 1950 et 1960, et a même obtenu un prix de série pour les 4 meilleurs chronomètres-bracelet au concours de l’Observatoire de Neuchâtel en 1959 [12], 1960 et 1962.

3. L’âge d’or d’Ernest Borel : 1945-1968

Comme beaucoup de fabriques suisses, après la 2e Guerre Mondiale Ernest Borel va donner des noms à certains de ses modèles afin d’en faciliter la promotion. Le premier de ces modèles sera le Rendez-Vous en 1946, et beaucoup d’autres suivront : Sahara, Sea Gem, Cocktail, Datoptic, Society, Flash, Deauville, Monaco, Space Gem, etc.

Il faut y voir l’arrivée dans l’entreprise d’Henry DuPasquier [13]. Entré comme adjoint de direction, il a vite assimilé les subtilités de la fabrication des montres et va s’avérer être un inventeur et un créatif exceptionnel. C’est à lui par exemple que l’on doit le modèle Cocktail, lancé en 1953, avec son cadran changeant qui eut un succès planétaire, le modèle Monaco avec son boîtier asymétrique, ou les pendulettes Versailles et Cor de Chasse, qui eurent beaucoup de succès.

Avec la fin du statut horloger, qui protégeait l’industrie horlogère suisse depuis les années 1930, les fabricants suisses sont confrontés au début des années 1960 à une rude concurrence étrangère. C’est le début des concentrations d’entreprises dans l’objectif de mettre en commun les ressources et les compétences. MSR (Manufactures Suisses d’Horlogerie) par exemple, qui regroupe Thommen, Vulcain, Buser et Phénix, a été créé en 1961.

L’ASUAG favorise ces regroupements d’entreprise et créé en 1966 Chronos Holding [14] dans cet objectif. Entre 1966 et 1969, Chronos Holding rachète Cyma, Ernest Borel et Doxa, et les réunit sous la holding Synchron SA. Et c’est Jean-Louis Borel qui en prend la présidence [15].

4. Période Synchron et crise du quartz

L’organisation de Synchron est rapidement mise en place. Le centre administratif est situé à Neuchâtel dans les locaux d’Ernest Borel et la fabrication des montres se fait au Locle, dans les locaux de Doxa, pour l’ensemble du groupe [16]. Les gammes sont réparties selon les différentes marques de la façon suivante : Cyma, les montres de précision, Ernest Borel, les montres design, avec par exemple le modèle Cocktail qui est remis au goût du jour, et chez Doxa les montres sportives. En 1970 le groupe produit 250 000 montres et réveils [17].

1973

Les débuts de Synchron sont favorables : le chiffre d’affaires augmente progressivement, grâce à Ébauches SA le groupe lance des montres à quartz dès 1973, ainsi qu’une gamme de montres automatiques économiques Conquistador, et des montres-bijoux [18]. La même année, Synchron absorbe la Compagnie des Montres Auréole SA à La Chaux-de-Fonds avec pour objectif de produire 1 million de pièces.

Mais dès 1975 les choses se dégradent très vite. Incapables de résister à la baisse foudroyante des prix des montres à quartz américaines, et à l’enchérissement du franc suisse face au dollar et aux autres monnaies, l’horlogerie suisse connait l’une des pires crises de son histoire [19]. De nombreuses entreprises vont disparaitre ou être rachetées.

En 1978, Synchron SA, est en liquidation. C’est le groupe Aubry Frères qui reprend les marques et qui va tenter de les relancer.

5. Période Aubry Frères

Aubry Frères a été créé en 1920 au Noirmont, dans les Franches-Montagnes, par Marc et Henri Aubry [20]. Le père des deux frères ayant commencé une activité dès 1917, c’est finalement cette date qui sera considérée comme la date de création. Sous la marque Ciny, l’entreprise s’était fait un nom respecté partout dans le monde.

Marcel Aubry, fils de l’un des créateurs, avait pris les rênes de l’entreprise avec enthousiasme et s’était lancé dans une phase expansionniste avec le rachat de la société Arthur Dorsaz et Cie (montres Dogma) en 1972, et celui de la Société des Montres West End en 1973. Et en 1978, Aubry Frères reprend les marques Ernest Borel, Doxa et Auréole [21].

1991

Malgré de louables tentatives de relance des marques West End et Ernest Borel, Aubry Frères est en difficulté à la fin des années 1980, et son distributeur en Asie, Hong Kong Truly doit soutenir financièrement l’entreprise. Il en prendra finalement le contrôle en 1997.

2013

6. Principaux modèles Ernest Borel

De nombreuses montres Ernest Borel des années 1930 et 1940 ont un design original, mais l’entreprise n’a donné un nom à certains de ses modèles qu’à partir de 1946.

- Rendez-vous

Cette montre extrêmement rare date de 1946, et elle est très surprenante. Elle dispose d’un avertisseur à tact : à l’heure réglée par la couronne et affichée sur un petit cadran à 9h, une petite couronne auxiliaire à 9h se met à tourner et vient avertir le porteur. Elle n’apparait qu’une fois dans la presse horlogère de cette époque et n’a certainement été produite qu’en quantité très limitée.

Le nom Rendez-vous a été ensuite utilisé par Ernest Borel pour des montres réveil classiques équipées du mouvement Alertic d’Ébauches SA.

- Cocktail

C’est le modèle le plus connu d’Ernest Borel. Lancé en 1953, son succès a été immédiat. Il s’agit d’une montre équipée d’un petit mouvement de 8,75 lignes avec seconde au centre. Les aiguilles de minutes et des secondes sont remplacée par des disques colorés transparents qui dessinent lors de leur rotation de jolis motifs kaléidoscopiques. Dès le lancement il existe de nombreux modèles pour homme et pour dame avec des motifs variés. Fait remarquable, le dos de la montre est transparent pour laisser voir le mouvement.

En 1954 le modèle Cocktail fit l’objet d’une campagne de publicité en 3D : des lunettes vert/rouge était fournies avec les magazines pour admirer la publicité en relief !

1954

Le modèle Cocktail a été produit tout au long du 20e siècle, et il est toujours au catalogue de la marque aujourd’hui.

1954

Devant le succès il y a eu de nombreux imitateurs qui ont tenté de contourner les brevets d’Ernest Borel [22]. Citons Delbana avec son modèle Voltige lancé en 1954, ou Invicta avec son modèle Graphomatic de 1955.

- Datoptic

Sur une montre-bracelet, la lecture de la date n’est pas toujours facile du fait des dimensions réduite des chiffres dans leur guichet. Rolex l’avait bien compris et a breveté en 1952 sa fameuse loupe « cyclope » collée sur le verre [23]. Henry Du Pasquier a de son côté breveté en 1954 une loupe sertie directement sur le guichet du cadran [24]. C’est ainsi qu’est né le modèle Datoptic en 1955 et qui a existé en acier, en plaqué, et en or.

1955

Les lois de l’optique sont toutefois formelles : l’effet grossissant est aussi fonction de la distance entre la loupe et l’objet. Étant très proche du disque de la date, la loupe d’Ernest Borel n’est pas aussi efficace que cette de Rolex, et le modèle Datoptic a connu une carrière assez brève.

- Society

C’est une élégante montre automatique en acier ou en plaqué, sortie en 1956, qui a comme particularité d’avoir une couronne « noyée », c’est-à-dire intégrée au boîtier ou à la lunette. De plus le cadran a un effet miroir. Le mouvement est équipé du dispositif de réglage Incastar.

- Flash

De curieuses montres-bracelets sont apparues à la fin des années 1950 : elles étaient munies d’une petite lampe qu’on pouvait allumer à volonté ! La première fut mise sur le marché en 1956 par la fabrique Ad. Allemann Fils, sous le nom de Tourist Everlight. La montre comportait une petite ampoule, au-dessus de l’index de 12h, que l’on pouvait allumer grâce à un poussoir situé sur le côté de la boîte à 2h [25].

1956

En 1958 la célèbre Fabrique Ernest Borel a lancé son propre modèle Flash, basé sur ses propres brevets, et sur un principe légèrement différent [26]. L’ampoule était placée sous le cadran dans un logement en plastique faisant tout le tour en périphérie du cadran. Ainsi lorsqu’on appuyait sur le poussoir à 2h, tout le tour de cadran s’illuminait. La batterie se rechargeait avec une simple pile et assurait 6 mois à un an de fonctionnement. La montre était proposée en acier ou en plaqué.

- Monaco

Pour le centenaire de l’entreprise en 1959, Ernest Borel a lancé plusieurs modèles dont l’un, le Monaco, était assez original, avec sa boîte asymétrique et sa couronne noyée. C’était un modèle automatique avec boîte en plaqué or. Ernest Borel a également présenté d’autres modèles asymétriques en 1960.

- Space Gem

C’est le dernier modèle notable de l’âge d’or d’Ernest Borel. Il s’agit d’une montre automatique avec date dont la particularité est d’avoir un boîtier étanche à 200m, en acier ou en plaqué. Il existe des versions chronomètre haute fréquence (36 000 A/h) de ce modèle.

Voir aussi : Aubry Frères-Ciny (bientôt en ligne) et le site actuel d'Ernest Borel

|1] Journal Suisse d’Horlogerie, 1944, 7-8, pp. 267-271

[2] FOSC 1894

[3] FOSC 1898

[4] FOSC 1926

[5] Revue Internationale d’Horlogerie, 1936, 20, p. 275

[6] Joel Pynson, René Bleuer, Charles Lemmel et l’âge d’or de la publicité horlogère des années 1940, Horlogerie Ancienne (AFAHA), 2020, 88, pp. 70-83

[7] Et non un couple dansant comme on peut le lire parfois

[8] Journal Suisse d’Horlogerie, 1946, 9-10, p. 14

[9] Journal Suisse d’Horlogerie, 1947, 11-12, pp. 533-536

[10] Brevet Ébauches SA CH 227189 de 1942

[11] Brevet CH 251174 de 1945

[12] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1960, 8, p. 157

[13] Europa Star, 1965, 31, pp. 92-98

[14] Journal Suisse d’Horlogerie, 1966, 4, p. 471

[15] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1969, 4, p. 102

[16] La Suisse Horlogère, 1970, 46, p. 1772

[17] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1972, 9, p. 230

[18] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1973, 6, p. 154

[19] Joel Pynson, La « crise du quartz » et l’horlogerie suisse, Chronométrophilia, 2021, 88, pp. 97-116

[20] FOSC 1920

[21] La marque Cyma a été reprise par Claude Guilgot (Fabrique Delvina à Genève).

[22] Par exemple le brevet CH 296061 d’Henry DuPasquier déposé le 4 décembre 1952

[23] Brevet CH 298953

[24] Brevet CH 306108

[25] Journal Suisse d’Horlogerie, 1957, 3, p. 132

[26] Revue internationale d’Horlogerie, 1958, 4, p. 7

Remerciements

La plupart des archives horlogères ont été consultées au Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds et je remercie chaleureusement le conservateur du Musée, M. Régis Huguenin et son équipe pour leur accueil.

Les archives de la Fédération Horlogère, du Davoine et de l’Impartial sont disponibles en ligne sur www.doc.rero.ch

Les archives du Journal Suisse d’Horlogerie, d’Europa Star, de la Revue Internationale d’Horlogerie et de la Suisse Horlogère sont disponibles sur The Watch Library

Le FOSC (Feuille Officielle Suisse du Commerce) est disponible sur E-periodica

Notes :

Concernant Time To Tell : Time To Tell dispose de l'une des plus grandes bases de données privées numérisées sur l'histoire de l'horlogerie suisse avec plus de 2,3 To de données sur plus de 1000 fabricants de montres suisses. Cette base a été construite sur une période d'une trentaine d'années et continue à être alimentée d'environ 50 à 100 Go de données chaque année. Cette base de données est constituée de documents anciens, en majorité des revues professionnelles suisses, allant de la fin du 19e siècle à la fin du 20e siècle. La plupart de ces documents ne sont pas disponibles sur l'Internet. Les articles historiques publiés sur le site time2tell.com citent toujours les sources utilisées.

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