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La véritable histoire des montres Léonidas

La véritable histoire des montres Léonidas

Leonidas

Acteur majeur des chronographes et compteurs suisses au 20e siècle, Léonidas n’est plus connue aujourd’hui que par quelques collectionneurs et amateurs de montres anciennes.

Description

Joël Pynson

Novembre 2024

L’entreprise a failli disparaître une première fois, en 1911, et malheureusement la deuxième fois fut la bonne, en 1985.

 

1. La dynastie des Bourquin

Julien Bourquin a créé un comptoir d’horlogerie à St Imier en 1841 [1]. Son fils Ferdinand prend la suite et en fait une fabrique d’horlogerie [2]. L’entreprise grandit rapidement et produit des montres ancre, commercialisées sous les noms Simplicity ou La Populaire, et, St Imier oblige, des compteurs et des chronographes. Un brevet sur un mécanisme de chronographe déposé par Ferdinand Bourquin en 1892 sera même repris par le célèbre Alfred Lugrin à l’origine de Lémania [3].

 

1895

Ferdinand Bourquin devait sans doute aimer les courses de chevaux : en 1897 il dépose une marque de fabrique avec deux chevaux au galop, une tête de cheval apparait sur certains calibres en 1903, et une belle illustration équestre sera également utilisée à partir de 1904.

 

1900

1903

1904

C’est en 1902 qu’est déposée la marque Léonidas qui deviendra plus tard le nom de l’entreprise [4]. Mais en 1903 c’est en fait le nom Fabrique d’Horlogerie Beau Site qui est choisi [5].

Ferdinand Bourquin décède en 1905 et c’est sa veuve, Bertha, qui lui succède [6]. L’année d’après, elle change le nom de l’entreprise en Leonidas Watch Factory.

1909

La fabrique continue la production de montres et de chronographes, mais une mauvaise gestion et des affaires douteuses en Russie et en Pologne entraînent la faillite de Léonidas en 1911 [7]. L’entreprise est mise aux enchères le 14 octobre 1911 et le lot atteint 65 200 Fr, prix correspondant à environ 1/3 de la valeur de l’entreprise. L’acheteur est Constant Jeanneret-Droz, de la Manufacture Junior, « homme sérieux et compétent qui saura sûrement remettre la Léonidas sur ses pieds [8]. »

1911

2. La dynastie des Jeanneret

Constant Jeanneret-Droz est en effet un homme compétent. Il dirige à St Imier la Manufacture Junior, créée par son beau-père en 1901 [9].

La fabrication de montres et chronographes reprend, de même que la conception de nouveaux calibres car Léonidas est une manufacture qui fait ses propres mouvements.

En 1915, Léonidas se lance dans la fabrication de montres-bracelets, « article très apprécié des militaires et des sportmen [10] ».

1915

Constant Jeanneret-Droz décède en 1916 et c’est son épouse, Jenny-Fanny Droz qui prend la suite, avec l’aide de ses fils Ernest et Charles [11]. Dès 1916, Léonidas produit des montres pour tableau de bord d’automobiles avec une réserve de marche de 8 jours.

En 1928, Charles Jeanneret reprend la Fabrique d’Horlogerie Berna [12], créée en 1864 par Alcide Droz et reprise en 1908 par Ernest Degoumois. En 1930, après le décès de sa mère, Charles Jeanneret prend la tête de Léonidas, mais Léonidas et Berna resteront deux entités indépendantes [13].

1928

1930

C’est à la fin des années 1920 que Léonidas a commencé à produire des chronographes-bracelets et des montres de précision pour l’aviation, en particulier pour l’Aéronautique Royale Italienne qui les utilisera pour les fameux raids en hydravions Rome-Brésil en 1931 et Rome-Chicago en 1933, commandés par le général Italo Balbo, fer de lance de la propagande aéronautique du régime mussolinien [14].

1933

À partir de 1935, Léonidas va devenir un acteur majeur du chronographe et des instruments d’aviation. Toute une gamme de beaux chronographes-bracelets, de compteurs et de montres d’aviation : compteur à rebours, chronographes 8 jours, etc., est lancée.

On peut s’interroger toutefois sur l’origine des ébauches pour les montres d’aviation. Il s’agissait probablement de Thommen à Waldenbourg et Minerva à Villeret. La production de montres d’aviation nécessite toutefois des équipements particuliers, par exemple pour tester les montres aux basses températures, et une organisation stricte d’un département spécial dans l’entreprise.

1940

Léonidas a produit des montres étanches dès 1936 et des chronographes étanches dès 1938.

Des chronographes avec compteur d’heures sont apparus en 1939. En 1941, pour les cent ans de l’entreprise, Léonidas a commencé à produire des chronomètres, testés au Bureau de St Imier [16], a présenté une nouvelle gamme de montres, et s’est offert les services du célèbre illustrateur René Bleuer pour sa communication. Cela a permis la réalisation de superbes publicités, parmi les plus belles réalisées dans les années 1940.

1942

1946

En 1941, Léonidas a repris la Compagnie des Montres Sportex, Cet autre fabricant de compteurs et chronographes avait été créé à La Chaux-de-Fonds par Henri Montandon en 1928 [17], puis avait été transféré à St Imier en 1938 sous la direction d’Ernest Mathez qui travaillait chez Léonidas et Berna [18]. A la mort d’Ernest Mathez en 1941, Charles Jeanneret a intégré Sportex à Léonidas.

Léonidas en Afrique

En 1951, Léonidas a participé au fameux rallye international Méditerranée-Le Cap : plus de 15 000 km de pistes dans les déserts, les savanes et les forêts africaines, entre Alger et Le Cap [19]. Des chronographes maison était monté sur la Buick du concurrent Suisse Henri Berney qui portait, avec ses co-équipiers, des chronographes-bracelets Léonidas.

Après avoir terminé la course, Henri Berney repart sur la Ford du concurrent belge, et parcourt la distance Le Cap-Alger-Paris dans le temps record de 13 jours, 15 h et 45 mn !

Tous les chronographes ayant fonctionné parfaitement, il écrira : « les chronographes LEONIDAS ont justifié une fois de plus la grande renommée qu’ils ont acquise depuis des années dans le domaine de l’horlogerie de précision [20]. »

Avec la désaffection du chronographe dans les années 1950, Léonidas, comme d’autres spécialistes tels que Heuer ou Breitling, se lance dans la fabrication de montres classiques, automatiques, calendrier, réveil, et des montres pour dame.

Mais Léonidas n’a pas de politique de modèle : pas de « Navitimer » ou de « Speedmaster » pour marquer les esprits et faire connaître la marque. Ainsi, le très beau modèle de plongée avec lunette tournante intérieure (boîte Piquerez), lancé en 1962, n’a pas de nom fédérateur, à la différence par exemple de l’Universal Polerouter Sub, doté de la même boîte.

De surcroit, en 1962 Léonidas se lance avec enthousiasme dans la montre électrique, grâce à la mise à disposition par Ébauches SA du calibre Landeron 4750 dont le balancier spiral est entretenu par un système électrique à pile [21].

Mal accepté par les horlogers et n’apportant pas de gain de précision, ce calibre sera un flop commercial. Et de fait, en 1964 Ed Heuer & Co et Léonidas fusionnent sous le nom Heuer-Leonidas SA [22].

3. La dynastie des Heuer

Même si Charles Jeanneret devient président du conseil d’administration d’Heuer-Leonidas, c’est bien Charles, Hubert et Jack Heuer qui dirigent la société. La marque Berna est abandonnée et la marque Léonidas est désormais limitée aux compteurs de sport. En 1969, Charles Jeanneret démissionne de la présidence du conseil d’administration [23]. Il décèdera en 1979.

1964

La dernière montre siglée Léonidas est sortie en 1972. Il s’agit du chronographe Easy Rider, également signé du coureur automobile Jacky Ickx. Heuer était en effet très impliqué dans le chronométrage sportif et le sponsoring automobile [24]. Destiné à un jeune public, ce chronographe économique avait un boîtier en métal chromé ou en matière synthétique, et avait un mouvement de type Roskopf, à ancre à goupilles.

En grande difficulté durant la « crise du quartz », Heuer-Leonidas est reprise par Nouvelle Lémania en 1982 qui la revend au groupe Techniques d’Avant-Garde (TAG) en 1985. La nouvelle société est baptisée TAG-Heuer, signant la fin du nom Leonidas [25].

4. Principaux modèles de montres Léonidas

Léonidas a produit de nombreux chronographe-bracelets aux designs typiques de leurs époques respectives.

1936

1938

1942

À de rares exceptions près, Léonidas n’utilisait pas de nom particulier pour ces modèles de montres. Certains d’entre-eux sont toutefois caractéristiques de la production de la firme de St Imier.

- chronographe calendrier des années 1940

De nombreuses versions existent de ces chronographes calendrier, les plus intéressantes étant celles avec phases de lune.

- montre calendrier non chronographe avec phases de lune

Ce modèle est assez typique de la production Léonidas car l’entreprise avait déposé en 1947 un brevet sur l’affichage des fonctions calendaires [26]. Il a existé avec différentes formes de boîtes et en versions manuelles ou automatiques.

- Léonidas réveil

Lancé en 1955, ce modèle était doté du calibre Vénus 230 Alertic, caractéristique avec son petit guichet à 9h indiquant l’état de fonctionnement du réveil.

- Léonidas plongeur

Cette très belle montre, étanche à 200m, est équipée d’une boîte Piquerez avec lunette tournante intérieure. Les aiguilles sont caractéristiques.

- Chronographe Pilote

Ce modèle, parfois appelé Air-Navigator [27] ou Pilote, ressemble en fait à un chronographe de plongée avec son imposante lunette tournante noire. Il était d’ailleurs étanche à 100m. Il est difficile à dater. En effet, même s’il a été présenté à la Foire de Bâle en 1963, le Journal Suisse d’Horlogerie signale en 1958 que « Léonidas présente une montre de plongeur qui est en même temps un chronographe. C’est là une pièce unique en son genre [28]. » Il est fort probable qu’il s’agisse du modèle Pilote.

D’après les documents d’époque, ce chronographe était doté d’un arrêt au balancier par action sur la couronne. Sa production a été limitée du fait de la fusion Heuer-Léonidas.

5. Instruments d’aviation

Léonidas a commencé à s’intéresser aux instruments d’aviation au début des années 1930. C’était une période de crise et cette diversification était sans doute bienvenue.

En 1933, Léonidas était le fournisseur attitré de l’Aéronautique Royale Italienne. Il s’agissait de montres et de chronographes très proches de ce que l’entreprise fabriquait déjà pour le grand public. Mais Léonidas s’est ensuite équipée pour pouvoir fabriquer et surtout tester dans les conditions appropriées des instruments adaptés aux conditions de températures extrêmes et de vibration propres à l’aviation. Ainsi, dès 1938 des compteurs à retour, des chronographe avion avec mouvement 8 jours, des chronographes pour aviateur avec lunette tournante, sont apparus dans les gammes Léonidas.

Des modèles très proches, voire identiques, se trouvait à la même époque chez Thommen, et, à un moindre degré, chez Breitling. Il devait donc exister des échanges entre ces fabricants, ou tout au moins des fournisseurs communs.

Deux modèles semblent toutefois avoir été fabriqués en exclusivité par la firme de St Imier :

- le chronographe modèle 429

C’est un chronographe avec lunette tournante et totalisateur 60 mn. Il existait en version 1 ou 8 jours, et avec ou sans seconde centrale. Les fonctions chronographiques étaient gérées par pression sur la couronne à 6h.

- le chronographe modèle 425

Ce chronographe avec une réserve de marche de 8 jours est géré par deux poussoirs et peut donc tenir compte des arrêts facultatifs. Il dispose d’un totalisateur d’heure qui peut fonctionner indépendamment du chronographe.

 

Voir aussi : Junior, Sportex

 

[1] Revue Internationale de l’Horlogerie, 1942, 3, pp. 5-19

[2] https://collections.m-ici.ch/deskriptordetail.aspx?ID=68156

[3] La Fédération Horlogère, 24 octobre 1895, p. 484

[4] FOSC 1902

[5] FOSC 1903

[6] FOSC 1905

[7] L’Impartial, 20 mai 1911, p.3

[8] L’Impartial, 17 octobre 1911, p.3

[9] FOSC 1901

[10] Revue Internationale d’Horlogerie, 1915, p. 467

[11] FOSC 1916

[12] FOSC 1928

[13] FOSC 1930

[14] https://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/index.php?id=741&lang=fr

[15] Philippe de Coulon, Les ébauches, édité par Ébauches SA, 1951, p. 203

[16] Journal Suisse d’Horlogerie, 1942, 1-2, p. 52

[17] FOSC 1928

[18] FOSC 1938

[19] https://www.cockpitdz.com/post/la-saga-du-rallye-alger-le-cap-1951-1961

[20] Revue Internationale de l’Horlogerie, 1951, décembre, hors-texte

[21] La Suisse Horlogère, 1961, 3, p. 32

[22] FOSC 1964

[23] FOSC 1969

[24] Journal Suisse d’Horlogerie, 1972, 5, pp. 497-501

[25] FOSC 1985

[26] Brevet CH 260353

[27] Le terme Air-Navigator a également été utilisé pour d’autres chronographes Léonidas. Mais c’était aussi un nom utilisé par le fabricant Felca.

[28] Journal Suisse d’Horlogerie 1958, 3, p. 325

Remerciements

La plupart des archives horlogères ont été consultées au Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds et je remercie chaleureusement le conservateur du Musée, M. Régis Huguenin et son équipe pour leur accueil.

Les archives de la Fédération Horlogère, du Davoine et de l’Impartial sont disponibles en ligne sur www.doc.rero.ch

Les archives du Journal Suisse d’Horlogerie, d’Europa Star, de la Revue Internationale d’Horlogerie et de la Suisse Horlogère sont disponibles sur The Watch Library

Le FOSC (Feuille Officielle Suisse du Commerce) est disponible sur E-periodica

Notes :

Concernant Time To Tell : Time To Tell dispose de l'une des plus grandes bases de données privées numérisées sur l'histoire de l'horlogerie suisse avec plus de 2,3 To de données sur plus de 1000 fabricants de montres suisses. Cette base a été construite sur une période d'une trentaine d'années et continue à être alimentée d'environ 50 à 100 Go de données chaque année. Cette base de données est constituée de documents anciens, en majorité des revues professionnelles suisses, allant de la fin du 19e siècle à la fin du 20e siècle. La plupart de ces documents ne sont pas disponibles sur l'Internet. Les articles historiques publiés sur le site time2tell.com citent toujours les sources utilisées.

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