Time To Tell Chronographs for collectors

La véritable histoire d’Universal Genève, 3e et dernière partie : Polerouter, le couturier de la montre, chronomètres, etc.

2 février 2024

3. Polerouter : une montre iconique

Universal Polarouter présentées à Bâle en 1955

Le modèle Polerouter d'Universal est sans doute le modèle le plus connu de la marque genevoise, et celui qui a été décliné dans le plus grand nombre de versions.

Le design de ce modèle est dû au célèbre créateur Gérald Genta. La particularité de cette montre est l'aspect tridimensionnel de son cadran qui est en fait en deux parties : un anneau circulaire comportant les index horaires est fixé en périphérie du verre à sa partie inférieure et vient au contact du cadran, lui-même fixé sur le mouvement. Cette disposition particulière a été brevetée par Universal en septembre 1953[1]. L'aspect tridimensionnel est renforcé par la différence de couleur et de matière entre l'anneau et le cadran.

Brevet du cadran de la Polerouter

La montre, qui s'appelait Polarouter à ses débuts, a fait l'objet d'une campagne de lancement particulièrement innovante. Elle a en effet été associée au premier vol transpolaire Copenhague-Los Angeles, le 15 novembre 1954 par un Douglas DC6B de la SAS (Scandinavian Air System)[2]. Le passage par le pôle nord fait en effet gagner 2600 kms par rapport à la route transatlantique. Les avions de l'époque ne permettant pas de franchir une telle distance d'une seule traite, deux escales étaient prévues, l'une à Söndre Strömfjord au Groenland, l'autre à Winnipeg, au Canada.

Mais la difficulté majeure de cette route résidait dans l'impossibilité d'utiliser le compas magnétique aux abords du pôle. De plus, le radar était à cette époque réservé à l'aviation militaire. Il fallut donc utiliser un gyrocompas doublé d'un contrôle « à l'ancienne » grâce au relevé de la position du soleil ou des étoiles fixes. Et pour ces mesures il est nécessaire de connaître l'heure avec précision, d'où la nécessité d'avoir une bonne montre. C'est ainsi que la Polarouter est devenue la montre officielle de la SAS.

À son lancement en 1955[3], la montre existait en plusieurs versions, les plus connues étant les références 20217 en acier, 20214 en plaqué, et 10234 en or. Tous les modèles étaient étanches. Le mouvement était automatique, avec masse oscillante à butées et seconde au centre (calibre UG 138).

Vers 1957, la montre prend son nom définitif : Polerouter.

En 1958 la Polerouter est équipée du nouveau calibre automatique à micro-rotor « Microtor » (UG 215), le plus plat du monde avec son épaisseur de seulement 4,10 mm (modèle référence 20357).

Pour vérifier leur résistance, 4 montres Polerouter Microtor accompagnent les membres de l'expédition franco-suisse au Groenland pendant 2 mois dans des conditions extrêmes, avec l'ascension de 10 sommets. Au retour les montres n'ont pratiquement déviées de l'heure exacte[4].

En 1959, lancement des modèles Polerouter date avec date par guichet à 3h (réf. 204503), et Polerouter Jet (ref. 10364, cadran standard).

Polerouter Sub, 1961

En 1961, présentation des modèles Polerouter Genève, Polerouter Genève date, avec cadran simple, et surtout du modèle de plongée Polerouter Sub, étanche à 200 m et muni d'une boîte « supercompressor » de Piquerez, avec lunette tournante sous le verre.

Olma avait obtenu une licence d'Universal pour réaliser des modèles proches de la Polerouter

Le succès considérable du modèle Polerouter a bien sûr suscité des imitations. Par voie de justice, Universal a fait cesser en 1960 la production de copies réalisées par la société Eldor Watch, et a fait de même avec Schlup & Cie (Rado) en 1961. Des accords de licence ont aussi été trouvés. C'est le cas en 1962 avec Olma, Enicar et Ch. Wilhelm & Cie (Festina), qui ont pu alors produire des modèles proches de la Polerouter[5].

Les modèles Polerouter en 1965

En 1964, Universal lance la Polerouter électrique, munie d'un calibre Lip R.148. Du fait de la fin du statut horloger, Universal aurait pu éventuellement utiliser le premier calibre électrique d'Ébauches SA, le Landeron 4750, disponible dès 1962. Mais les accords de distribution et la participation d'Universal chez Lip ont certainement joué en faveur de la société française.

La Polerouter Electric est la dernière Polerouter de l'ère Perret & Berthoud. De nouveaux modèles seront lancés en 1987, sans lien avec les modèles originaux.

4. Le couturier de la montre

C'est sous l'influence de Raoul Perret qu'Universal va mettre en place dès 1932 un département de stylisme, avec des créateurs au sein de l'entreprise, mais également en faisant appel à de nombreux créateurs extérieurs, en particulier à Paris où certains créateurs et créatrices, comme Simone Gerli[6], travaillent pour Universal[7]. Toujours à Paris, Universal a collaboré avec les maisons Lehmann & Righi et Hermès, deux agents d'Universal en France.

Raoul Haas

Parmi les créateurs, il faut aussi citer Gérald Genta et Raoul Haas. Ce dernier, formé à l'École des Arts Décoratifs de Genève et passé par d'autres maisons comme Patek Philippe[8], devient chef du département création chez Universal à la fin des années 1950. C'est à lui que l'on doit la création de modèles exceptionnels, parfois uniques, récompensés dans les concours internationaux.

Raoul Perret, qui était vice-président de la Fédération Horlogère et membre du comité d'organisation de la Foire de Bâle, était aussi très actif dans la manifestation la plus importante pour la montre de style : « Montres et Bijoux de Genève ». Cette exposition, lancée à l'initiative de Paul Vogel, directeur de la maison Solvil, fut à partir de 1940 le rendez-vous annuel de la montre de luxe, et Raoul Perret en devint président.

Roberta Di Camerino

Le slogan « Le couturier de la montre » a été utilisé dans les publicités Universal à partir de 1963, et est devenu une marque déposée en 1969. C'est ainsi à une spécialiste de la haute couture italienne, Roberta Di Camerino, qu'Universal demandera une collection de montres pour dames en 1970[9].

Claude Brunner

L'arrivée des montres électroniques a posé de nombreuses contraintes aux stylistes, confrontés à l'épaisseur des premiers calibres et à la nécessité de pouvoir facilement changer la pile. En 1970, Universal a collaboré avec Claude Brunner, jeune et talentueux bijoutier-styliste de Carouge, pour le concours du Prix de la Ville de Genève et y sera récompensé d'une mention[10]. L'année d'après ce sera grâce à un autre styliste de Carouge, Frank Böttger, qu'Universal recevra une deuxième mention à ce concours.

4.1 Modèles remarquables

L'une des premières créations marquantes fut le modèle Talisman, créé en 1933 et qui fut régulièrement réédité. C'est une montre rectangulaire à la lunette très fine, une nouveauté à l'époque, et un cadran minimaliste où les index sont représentés par de simples traits.

Voici quelques exemples de modèles originaux d'Universal :

 

4.2 Prix et récompenses

– 1962 : Prix de la ville de Genève pour une montre dessinée par Raoul Haas

– 1964 : Premier prix à l'Exposition Nationale Suisse pour une montre automatique pour dame

– 1965 : mention au Prix de la ville de Genève, 1er prix de l'Académie Internationale du Diamant

– 1968 : Prix à l'Académie Internationale du Diamant

– 1969 : Rose d'Or à Baden-Baden,

– 1970 et 1972 : mentions au Prix de la ville de Genève

5. Universal et la chronométrie

Polerouter chronomètre

Venant du Locle, haut lieu de la chronométrie, il semble assez naturel qu'Universal ait veillé à la précision de ses montres. Dès 1914, l'entreprise soumet une montre au Bureau officiel de contrôle de la marche des montres de la Ville du Locle, et obtient un bulletin de 1e classe avec mention[11].

Mais c'est surtout à partir de la fin des années 1930 qu'Universal, qui désormais peut faire tester ses propres mouvements, va s'impliquer activement dans la production de chronomètres.

1950

Les chiffres exacts du nombre de chronomètres produits par Universal ne sont pas connus. On peut toutefois faire des estimations, à partir des résultats publiés par les Bureaux de contrôle de la marche des montres de Bienne et du Locle où Universal faisait tester ses montres.

L'estimation est la suivante :

– entre 1939 et 1949 : environ 280 chronomètres

– entre 1950 et 1959 : environ 230 chronomètres (forte incertitude)

– entre 1960 et 1967 : 3347 chronomètres

Il semble qu'après le rachat par Bulova, les dépôts d'Universal auprès des Bureaux de contrôle aient fortement chuté, voire cessé.

6. Modèles dont l'origine est discutée

Durant sa période essentiellement « latine », c'est-à-dire jusqu'au milieu des années 1930, Universal a utilisé des calibres et des boîtes « exotiques » dont il est aujourd'hui difficile de retrouver l'origine. Ceci a favorisé des attributions assez fantaisistes, malheureusement souvent répétées de site en site sans en préciser les sources. C'est le cas en particulier des modèles suivants :

6.1 Universal « Ideo » (Cabriolet)

Crédit chronomania.net

Cette montre, qu'Universal appelait Ideo mais parfois appelée Cabriolet, est très originale et caractérisée par un boîtier en deux parties reliées par une charnière. La partie comportant le mouvement et le cadran peut être retournée sur elle-même, ce qui permet d'exposer le fond de la boîte et donc de protéger le verre. Cela rappelle bien sûr la célèbre Reverso de Jaeger-LeCoultre et certains auteurs avancent « qu'en 1928 Universal Genève invente et dépose le brevet de la « Cabriolet », quelques années avant une certaine concurrente que je ne citerai pas[12]… »

Une analyse un peu plus attentive fait toutefois douter de cette affirmation.

– la boîte a été brevetée non pas par Universal mais par le célèbre fabricant de boîtes Spillmann en 1934.

– le boîtier est en acier Staybrite. L'acier inoxydable a été introduit en horlogerie en Suisse en 1930. Il était fabriqué au Royaume-Uni par les usines Firth à Sheffield[13]. Sauf à trouver une Ideo dans un autre métal, celles en acier inox ne peuvent pas être datés des années 1920.

– les mouvements sont équipés d'un antichoc et on trouve souvent le terme « Parashock » sur le cadran. C'est en effet le nom donné par certains fabricants aux premiers systèmes antichocs.  Or à part chez Election et Helvétia, les premières montres équipées d'un antichoc datent du début des années 1930.

– enfin, Il n'y a pas de brevet Universal (en fait Perret & Berthoud) dans les années 1920, ni dans les années 1930. Et les premiers (à partir de 1940) ne concernent pas une boîte réversible.

Cette montre date donc du milieu des années 1930, bien après la création en France de la Reverso.

6.2 Universal Autorem

 

Il s'agit d'une montre automatique à la jolie boîte carrée à pans coupés, présentée souvent comme « brevetée en 1925 par Universal[14] ».

La source de cette affirmation semble provenir d'un catalogue de vente aux enchères d'une maison qui a parfois pris des libertés avec la réalité historique[15].

Autant le préciser tout de suite, l'Autorem est un calibre de montre automatique, et il n'est ni de 1925, ni d'Universal, qui n'a d'ailleurs déposé aucun brevet dans les années 1920 et 1930. Son histoire est complexe et les indications gravées sur le mouvement n'aident pas vraiment, car il s'agit des numéros de demande de brevet et non les numéros de brevets comme on peut parfois le lire à tort.

Crédit Modest_Proposal

À l'origine il y a le calibre automatique créé en 1930 par Eugène Meylan à La Chaux-de-Fonds[16]. D'abord utilisés par la manufacture Glycine en 1931, les brevets de Meylan ont été repris en 1933 par Georges Henry, directeur de la Fabrique Ilosa à Genève. Georges Henry a également repris les brevets suisses CH 159 711 et 712 de la société Invicta, qui sont en fait des améliorations du système de Meylan[17]. Il a ensuite créé avec Adolphe Neumann la société Autorem, toujours en 1933, pour commercialiser ses mouvements automatiques[18]. Voilà pourquoi on peut trouver des montres Autorem sous des marques diverses comme Universal ou surtout Etna Watch qui avait son propre brevet sur le mouvement. D'ailleurs certaines Universal Autorem ont une boîte signée Empire Watch[19], marque d'Etna Watch.

L'Universal Autorem date donc du milieu des années 1930, et n'a pas un mouvement manufacture.

L'histoire complexe des mouvements EMSA et Autorem est résumée dans le schéma suivant.

 

 

Notes : 

Concernant Time To Tell : Time To Tell dispose de l'une des plus grandes bases de données privées numérisées sur l'histoire de l'horlogerie suisse avec plus de 2,3 To de données sur plus de 1000 fabricants de montres suisses. Cette base a été construite sur une période d'une trentaine d'années et continue à être alimentée d'environ 50 à 100 Go de données chaque année. Cette base de données est constituée de documents anciens, en majorité des revues professionnelles suisses, allant de la fin du 19e siècle à la fin du 20e siècle. La plupart de ces documents ne sont pas disponibles sur l'Internet. Les articles historiques publiés sur le site time2tell.com citent toujours les sources utilisées.

Time To Tell est une société privée, indépendante de tout fabricant d'horlogerie.

Concernant Universal Genève : La plupart des informations en ligne sur Universal n'ont pas de sources crédibles. Ainsi, de fausses informations sont répétées de site en site. C'est le cas par exemple des dates de sortie des différents modèles de chronographe Universal ou de l'origine de certaines montres comme l'Autorem. Cet article sur Universal a nécessité plusieurs mois de travail et s'est basé uniquement sur des sources historiques fiables. Toutes les sources utilisées sont citées en référence. Mais ceci n'empêche pas les erreurs ou omissions. Tout commentaire est bienvenu, et les lecteurs qui le souhaitent peuvent nous contacter sur timetotell@orange.fr

©Time To Tell, 2024

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[1] Brevet CH 312 551

[2] Journal Suisse d'Horlogerie, 1955, 5-6, p. 223 et suivantes

[3] Les dates fournies pour les lancements des différents modèles sont celles des présentations à la Foire de Bâle, au moment où les modèles sont rendus publics. Universal dans ses publicités présente parfois des dates antérieures correspondant sans doute à des dates où le modèle était en cours de test.

[4] Revue Internationale d'Horlogerie, 1958, 12, p. 23

[5] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1962, 12, p. 254

[6] Journal Suisse d'Horlogerie, 1937, 11-12, p. 44

[7] Journal Suisse d'Horlogerie, 1961, p. 421 et suivantes

[8] La Suisse Horlogère, édition hebdomadaire, 1963, 39, p. 909

[9] Journal Suisse d'Horlogerie, 1970, 5, p. 558-559

[10] La Suisse Horlogère, 1971, 2, p. 103

[11] Revue Internationale d'Horlogerie, 1915, 1, p. 37

[12] https://www.romainrea.com/montres-de-collection/universal-geneve-cabriolet/

[13] Journal Suisse d'Horlogerie, 1934, 9, p. 10 et suivantes

[14] Voir par exemple : https://vintagewatchspecialist.com/collections/universal-geneve-watches-ug/

[15] https://archive.is/2Nwh

[16] Brevets CH 149 137 déposé le 15 octobre 1930, et CH 149 138 déposé le 24 octobre de la même année

[17] https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=sha-001%3A1933%3A51%3A%3A1045&referrer=search#1045

[18] https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=sha-001%3A1933%3A51%3A%3A835&referrer=search#835

[19] https://orologi.forumfree.it/?t=73491717&st=45